L’article 1792 du Code civil (l'un des rares qui n’ait pas encore changé de numéro) dispose :

« Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ».

Pour être couverts par les garanties légales (les garanties décennale et de bon fonctionnement des éléments d’équipements dissociables), les travaux doivent conduire à la réalisation d’un ouvrage. La notion d’ouvrage a toujours été au cœur des débats lorsque les travaux considérés sont réalisés sur un existant.

Les travaux sur existants représentent un chiffre d’affaires considérable. Ils recouvrent deux réalités :

- Des travaux sur un bâtiment existant. Les exemples classiques sont la construction d’une extension, des travaux de renforcement des fondations (Cass. 3e civ., 14 septembre 2017, n° 16-23.020), la rénovation d’une toiture (Cass., 3e civ, 4 octobre 2011, n° 10-22.991), la mise en place d’un système d’isolation thermique (CA Paris, 19e ch. B, 10 février 2000, AJDI 2000, 436), la rénovation d’un système électrique, la pose de carrelage (Cass., 3e civ., 26 mai 2010, n°09-14401), la réfection des enduits (Cass. civ. 3e, 11 mars 2003, n° 01-02.586), la pose d’une cheminée et la création d’un conduit, la pose d’un insert impliquant des modifications de la maçonnerie (Cass. civ. 3e, 6 février 2002, n° 00-15.301), etc.

- L’adjonction d’un élément d’équipement sur un existant : la pose et fourniture d’un climatiseur, d’une pompe à chaleur, etc.

C’est sur ce second point que la Cour de cassation ne cesse d’évoluer.

La notion d’ouvrage impliquait auparavant l’examen d’un faisceau d’indices : l'ajout de matière, l'importance financière ou technique des travaux réalisés (Cass., 3e civ., 24 septembre 2014, n° 13-19.615), la fonction technique et non esthétique des travaux (Cass. civ. 3e, 4 avril 2002, n° 00-13.890), l'immobilisation au sol.

Ainsi, si l’adjonction d’une toiture photovoltaïque sur une toiture existante a suscité des interrogations (Philippe Malinvaud, « Photovoltaïque et responsabilité », DI 2010, p.360), il était admis que la fourniture et la pose d’un climatiseur ne pouvait être qualifiée d’ouvrage (Cass., 3e civ., 10 décembre 2003, n°02-12.215).

Un glissement progressif s’est produit en 2017.

Le 12 novembre 2015, Cour de cassation a considéré que l’installation d’une pompe à chaleur et d’un ballon mixte dans un immeuble existant ne pouvait être qualifié d’ouvrage soumis à la garantie décennale (n°14-20.915).

Le 15 juin 2017, elle a jugé l’inverse (n°16-19.640). Cet arrêt ne mentionne pas la notion d’ouvrage, mais considère : « (…) les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination ».

La Cour suprême a réitéré à propos de l’installation d’un insert (Cass. civ. 3e, 15 juin 2017, n° 16-19.640).

Puis d’une cheminée à foyer fermé (Cass. civ. 3, 26 octobre 2017, n° 16-18.120).

L’arrêt rendu le 26 octobre 2017, publié dans le bulletin d’information, est manifestement un arrêt de principe et exclut l’examen de la notion d’ouvrage. La formulation est identique à celle adoptée par l’arrêt rendu le 15 juin 2017 :

« (…) les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent de la garantie décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination ».

La Cour a, depuis, réitéré cette formulation (Cass. civ. 3e, 14 décembre 2017, n°16-10.820 et 16-12.593).

La notion d’impropriété à destination étant des plus imprécises, les débats seront intenses.

Le caractère compatible de cette motivation avec les dispositions prévues par l’article L. 243-1-1 II du Code des assurances est, de plus, difficilement compréhensible (voir l’excellent article de M. Pascal Dessuet « Le problème des travaux sur existants depuis les revirements de juin et septembre 2017 », RDI 2018 p.136).

En résumé, une nouvelle fois, le champ de la garantie décennale est étendu par la Cour suprême.

La Cour de cassation nous a toutefois offert une (maigre) consolation en publiant le 28 février 2018 concernant des travaux d'étanchéité des chéneaux de la toiture d'un bâtiment et la remise en état des vitrages. Elle a approuvé la cour d’appel d’avoir écarté la responsabilité décennale du constructeur : « ayant exactement retenu qu'en raison de leur modeste importance, sans incorporation de matériaux nouveaux à l'ouvrage, les travaux, qui correspondaient à une réparation limitée dans l'attente de l'inéluctable réfection complète d'une toiture à la vétusté manifeste, ne constituaient pas un élément constitutif de l'ouvrage, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, qu'il convenait d'écarter l'application du régime de responsabilité institué par l'article 1792 du code civil » (n°17-13478).

Réjouissons-nous, il demeure quelques travaux qui ne relèvent pas de la garantie décennale !